« À Dunkerque, nous émettons environ 21% des émissions industrielles de CO2 de la France, soit environ 16 millions de tonnes. Il est devenu urgent de revoir en profondeur notre modèle de production industrielle. Et après plusieurs décennies de désindustrialisation, de fermeture de sites et de plans sociaux, nous avons décidé de faire de l’activité industrielle une force plutôt qu’un handicap. »
ENSAPVS
Bonjour, merci de nous recevoir. Pouvez-vous vous présenter et nous préciser votre rôle et votre mission au sein de la Communauté urbaine de Dunkerque.
Martin Papot
Bonjour, je m'appelle Martin Papot et je travaille chez EURA énergie, une structure créée par la Communauté urbaine de Dunkerque en 2019-2020. C’est l’outil territorial créé par la Communauté urbaine pour accompagner et piloter la transition énergétique de la zone industrialo-portuaire de Dunkerque. EURA énergie est un GIP* sur le plan administratif. Concrètement, nous sommes une agence qui accompagne les entreprises souhaitant se transformer ou celles souhaitant s'implanter sur le territoire. Nous avons également pour mission de créer du lien autour d’un collectif d'acteurs impliqués dans la transformation et la décarbonation du territoire. Nous sommes « un tiers de confiance », chargé de mettre autour de la table les industriels, les collectivités publiques, le monde de l'université et de la recherche pour engager une transition globale du territoire. À Dunkerque, nous émettons environ 21% des émissions industrielles de CO2 de la France, soit environ 16 millions de tonnes*. Il est devenu urgent de revoir en profondeur notre modèle de production industrielle. Et après plusieurs décennies de désindustrialisation, de fermeture de sites et de plans sociaux, nous avons décidé de faire de l’activité industrielle une force plutôt qu’un handicap.
ENSAPVS
Comment vous y prenez vous pour y parvenir ?
Martin Papot
Nous souhaitons aider la transformation des ces usines fortement émettrices pour qu'elles soient plus respectueuses de l’environnement et en phase avec les enjeux climatiques du 21e siècle. Cela pousse développer de nouvelles activités industrielles sur le territoire qui respectent l’accord de Paris*, comme la production de batteries pour voitures électriques plutôt que les activités de raffinerie de pétrole. Nous souhaitons également valoriser les emplois pérennes qui constituent une valeur ajoutée plus importante pour le développement territorial. L’accompagnement peut s’adresser à des industriels déjà présents qui souhaitent se transformer ou à des nouveaux acteurs, pour les aider à rechercher des modes de financements et mener à bien leurs projets. En tant que collectivité, nous avons plus de force pour effectuer des demandes…plus que si un industriel se contentait d’aller seul sonner à la porte de la Commission européenne…
ENSAPVS
Et votre rôle à vous dans ce dispositif ?
Martin Papot
Personnellement, je m'occupe du dialogue territorial innovant, qui a deux objectifs principaux. Le premier, c’est de maintenir la dynamique collective en place, pour que l'ensemble des acteurs continuent à travailler ensemble et que nous continuions à avoir « l'esprit de Dunkerque » .
ENSAPVS
Qu’est-ce que « l’esprit de Dunkerque » ?
Martin Papot
Cette expression vient de l'opération Dynamo pendant la second guerre mondiale, lorsque les Allemands sont arrivés par la Belgique et que les Français et les Anglais ont reculé jusqu'à Dunkerque et se sont retrouvés encerclés par les Allemands. Les Anglais ont appelé tous les bateaux de pêcheurs, tous les bateaux qu'ils avaient en Angleterre pour venir chercher les soldats. Tous se sont mobilisés autour d’une même cause.
« L’esprit de Dunkerque » renvoie à l’importance de la dynamique collective et la façon de pouvoir travailler ensemble. Sur le terrain de l’énergie, on parle « d’écologie industrielle » . Cette notion n’est pas nouvelle. Dans les années 60, les industriels de la région ont commencé à collaborer pour trouver des synergies. Par exemple, que les déchets d'un industriel puissent être utilisés comme matière première par un autre industriel. Ou bien qu’une partie de la chaleur fatale émise par l’usine sidérurgique d’ArcelorMittal* puisse être récupérée pour chauffer une partie du parc de logements sociaux de la ville et aussi certains équipements municipaux. Il s'agit d'un des premiers réseaux de chaleur en France de cette taille. Cela permet de réduire les besoins d’énergie et donc les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Mon premier objectif est donc de maintenir un dialogue permanent entre les acteurs, de faire fonctionner le collectif.
ENSAPVS
Et le deuxième objectif de votre mission ?
Martin Papot
Le deuxième objectif est culturel, il vise à associer la population à ce grand projet de transition écologique. On ne peut pas engager des transformations conséquentes du territoire sans y associer les gens qui l’occupent et le font vivre. Pour cela, nous organisons des rencontres et des échanges. En septembre dernier, nous avons organisé un grand évènement « la Fabuleuse Factory » sur la plage Jean Bart, où l'on a monté un village avec des dômes pour expliquer aux habitants la transformation en cours de l'industrie. On leur a expliqué les objectifs de décarbonation de l'industrie et aussi les nouveaux projets qui vont permettre de créer des emplois avec par exemple la construction d'une usine de batteries pour les voitures électriques Renault, qui créera 1200 emplois directs en 2024.
ENSAPVS
Cette expérience est une réussite ?
Martin Papot
Oui, car il est essentiel de reconnecter les gens avec un tissu industriel qui a beaucoup souffert et qui renvoie encore pour certains à des souvenirs douloureux. Le choix de la décarbonation a permis de transformer l'industrie et de ramener du dynamisme et de l'attractivité dans la région, attirant de nouvelles entreprises et créant de nouveaux emplois. Environ 16 000 emplois seront créés dans les 10 prochaines années, à la fois dans l'industrie mais aussi dans d’autres secteurs, de services notamment.
ENSAPVS
Ces nouvelles implantations auront des incidences sur l’aménagement du territoire…
Martin Papot
Oui, bien sûr, et cela ouvre de nombreux enjeux. Sur la mobilité par exemple. Beaucoup des nouveaux projets vont s’implanter à l’ouest du port où les terrains sont disponibles et prêts à être aménagés. Il faudra que les salariés puissent arriver le matin et repartir le soir. Pourtant, l’autoroute est déjà congestionnée aujourd’hui et nous souhaitons éviter qu’elle le soit davantage. Que les salariés soient également moins dépendants du l’usage de la voiture individuelle à l’avenir et des émissions de CO2 qui vont avec. Il faudra sans doute élargir le réseau de bus gratuit et peut-être envisager un parking relais. Sur le logement, les enjeux sont tout aussi important. Comment rendre notre territoire attractif pour que les salariés y vivent bien. L’offre de logement doit être adaptée à la demande et compatible avec nos objectifs de transition bas carbone. Des logements qui donnent envie de vivre à Dunkerque, c’est une condition essentielle pour que les entreprises puissent réussir à recruter !